La gestion collective : une solution moderne et équilibrée
Mémoire au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie
Copibec
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La société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, Copibec, est un organisme à but non lucratif créé par les auteurs et les éditeurs sur des principes d’équité. Son conseil d’administration composé de représentants de regroupements québécois d’auteurs (écrivains, journalistes pigistes et créateurs en arts visuels) et d’éditeurs (livres, revues, journaux) est fondé sur la parité auteurs - éditeurs. Courroie de transmission entre les créateurs et les utilisateurs, la société appartient aux créateurs et éditeurs qui l’ont fondée et qui l’administrent. Elle leur remet l’entièreté du montant de redevances perçues en leur nom à l’exception de ses frais de gestion1.
Présentation de la situation
Lors du processus de révision législative précédent, les représentants du milieu culturel ont alerté le gouvernement sur les pertes de revenus qui découleraient de l’introduction de nouvelles exceptions non rémunérées dans la Loi sur le droit d’auteur. Les représentants du milieu de l’éducation affirmaient, quant à eux, qu’il s’agissait de clarifier la Loi, que les titulaires de droits et leurs sociétés de gestion ne perdraient pas de revenus2.
Sourd à nos messages, sur la foi des affirmations du milieu de l’éducation, le gouvernement assurait que les modifications proposées n’étaient pas un « chèque en blanc » aux établissements d’enseignement. Pourtant, dès janvier 2013, les universités, les collèges et les ministères de l’Éducation à l’extérieur du Québec substituaient aux licences de gestion collective des politiques de reproduction très permissives, autorisant la reproduction institutionnalisée et systématique des œuvres sans autorisation ni paiement de redevances aux titulaires de droits. En 2014, au Québec, l’Université Laval suivait ce même modèle et mettait fin à sa licence avec Copibec.
Aujourd’hui, ce sont nos auteurs, nos créateurs, nos éditeurs d’ici qui subissent les effets néfastes de ces modifications. C’est notre culture et l’idée que nous nous faisons de notre patrimoine culturel qui est en question.
Les impacts de Loi sur la modernisation du droit d’auteur
La situation économique des écrivains québécois est très précaire, seulement le tiers d’entre eux vit de l’écriture.3 Les modifications de 2012 ont aggravé cette situation et nous constatons une érosion constante du droit d’auteur et de la rémunération qui s’y attache.
En multipliant les exceptions et en introduisant le mot « éducation » dans l’exception d’utilisation équitable, le gouvernement a ouvert une boîte de Pandore dans laquelle le milieu de l’Éducation se sert à volonté. À l’encontre des discours rassurants tenus en 2011, les décisions du milieu de l’Éducation ont entraîné une diminution considérable des redevances perçues par les créateurs et les éditeurs québécois et canadiens pour l’utilisation de leurs œuvres dans les établissements d’enseignement.
Depuis cinq ans, au Canada, les distributions de redevances d’Access Copyright ont chuté de 80% par rapport à 2013 et représentent, pour les éditeurs, une perte de 16% de leur bénéfice net. Au Québec, si la majorité des établissements d’enseignement et le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur ont renouvelé leurs licences, les redevances chutent alors que la population étudiante augmente. La redevance universitaire par étudiant a diminué de près de 50% (15% au collégial) et le montant perçu par un titulaire de droits par page reproduite a baissé de 23%, bien que la société ait maintenu des frais de gestion peu élevés.
Le graphique ci-dessous illustre la baisse significative des redevances globales perçues depuis 2013-2014.
Prétextant que la gestion collective et le droit d’auteur nuisent à l’accessibilité au savoir et à l’éducation, les établissements d’enseignement refusent de payer leur dû aux titulaires de droits. Mais la gestion collective donne accès à un répertoire mondial de millions d’œuvres sans tracas et, à la différence d’une interprétation débridée de l’utilisation, elle permet de maintenir le délicat équilibre entre accessibilité et rémunération de titulaires de droits.
13,50$ par étudiant universitaire, 10,50$ par étudiant collégial et 4,29$ par élève, voilà les coûts annuels des licences en 2018. À l’université, par exemple, cela représente moins de 0,4% des frais de scolarité universitaire d’un montant annuel moyen de 3500$ et une partie encore plus infime du budget des universités. Il est donc difficile de prétendre que ces licences sont à l’origine de l’endettement des étudiants ou qu’elles mettent en péril l’accès au système éducatif québécois.
Les deux tableaux ci-dessous illustrent la proportion du coût de la licence par rapport au budget de fonctionnement d’une université ainsi qu’aux frais de scolarité d’un étudiant.
*Cas d’un étudiant à temps plein (30 crédits/année) au premier cycle en Arts et Sciences.
**S’appuie sur le tarif annuel par étudiant de 13,50$.
Pourtant, faisant fi de ces éléments rationnels, la majeure partie du milieu de l’Éducation canadien privilégie la voie de la judiciarisation au détriment de la négociation, pousse les créateurs, les éditeurs et leurs sociétés de gestion vers les tribunaux et leur impose un fardeau financier qu’ils peuvent difficilement soutenir.
Les établissements universitaires soutiennent également qu’ils payeraient deux fois pour des droits de reproduction qu’ils obtiendraient dans les abonnements aux revues. Sans évaluer la portée de ces abonnements, il doit être signalé que la grande majorité des reproductions déclarées à Copibec proviennent de livres, non de revues, ainsi que l’illustre les chiffres du dernier paiement éducation (décembre 2017) :
De plus, au primaire-secondaire et au collégial, la plus grande proportion des titres reproduits sont québécois. Une généralisation du modèle des universités a des impacts très importants sur les titulaires de droits canadiens. En novembre 2017, 281 auteurs et 151 éditeurs québécois ont reçu un chèque de 1 000$ ou plus pour la reproduction d’extraits de leurs œuvres dans les établissements d’enseignement du Québec. Des montants qui font une différence pour nombre d’entre eux.
Les titulaires de droits ont créé Copibec parce que la gestion collective leur donne accès à des revenus qu’ils ne seraient pas en mesure de collecter personnellement. Des revenus indépendants qui favorisent leur liberté d’expression et la diversité de notre culture. Depuis 1997, Copibec c’est un accès facile aux œuvres pour des millions d’utilisateurs et le paiement de plus de 195 millions de dollars aux titulaires de droits.
Les redevances versées par Copibec représentent en moyenne plus de 18% des bénéfices nets de petits et moyens éditeurs québécois. Elles peuvent même atteindre, dans le cas de certains éditeurs de livres, jusqu’à 33,5% de leurs bénéfices nets sur quatre ans. Ces revenus contribuent aussi de façon significative à la pérennité de revues spécialisées et font parfois la différence entre la survie ou la faillite de la publication.
La gestion collective pour un meilleur équilibre
La gestion collective est l’exercice du droit d’auteur et des droits connexes par des organismes qui agissent au nom des titulaires de droits, dans leur intérêt et celui des utilisateurs. Ce sont des millions d’utilisations dont la gestion individuelle serait trop complexe pour les titulaires de droits et les utilisateurs.
Modèle ayant fait ses preuves depuis de nombreuses années en conjuguant accessibilité aux œuvres et rémunération, elle est pour l’UNESCO, le moyen de favoriser « l’exploitation licite des œuvres et prestations culturelles » et « un élément essentiel de construction d’un système national moderne de protection du droit d’auteur, capable de concourir efficacement à la dynamique du développement culturel. »4
La création de Copibec par les éditeurs et les auteurs québécois s’inscrit dans cette perspective moderne. Solution simple et peu coûteuse, la gestion collective, pivot essentiel d’équité et d’équilibre, fait partie intégrante de la Loi sur le droit d’auteur et, à ce titre, ne doit pas être éclipsée par un élargissement indu des exceptions.
Recommandations
Les cinq dernières années ont permis de constater les effets désastreux des exceptions et plus particulièrement de l’utilisation équitable à des fins d’éducation sur les revenus des titulaires de droits provenant de la gestion collective. L’équilibre tant recherché n’est pas atteint, il s’est même dégradé. Nous sommes en faveur du libre choix des auteurs qui doivent pouvoir déterminer les conditions d’utilisation de leurs œuvres (gestion directe, gestion collective, open access ou autre).
Alors que des millions de pages sont reproduites sans autorisation ni rémunération des auteurs et des éditeurs et que la loi canadienne est décriée sur la scène nationale et internationale, le milieu de l’Éducation tient encore un rassurant discours d’innocence, mais le refus de payer les licences entraîne inévitablement une baisse des revenus des auteurs et de leurs éditeurs.
Le constat est alarmant. Le gouvernement doit modifier la Loi sur le droit d’auteur afin de revenir à une application plus rigoureuse de l’exception d’utilisation équitable à des fins d’éducation et que les établissements d’enseignement acceptent de renouer un dialogue constructif avec les sociétés de gestion et qu’ils payent à nouveau aux auteurs et aux éditeurs les redevances de reproduction qui leur sont dues.
Voici nos propositions à cet effet :
Utilisation équitable à des fins d’éducation et d’étude privée (Article 29)
À défaut de retirer le mot éducation de l’article 29, il existe dans la Loi sur le droit d’auteur des dispositions favorisant l’équilibre. Ainsi, l’introduction d’une référence à l’article 2 alinéa b) de la Loi assurera l’accessibilité aux œuvres sans contraintes excessives, à un coût raisonnable, lorsqu’une licence existe et préservera également la possibilité pour les titulaires de droits d’être rémunérés pour l’utilisation de leurs œuvres.
Une telle limitation à l’exercice d’une exception est non seulement déjà admise dans la Loi (ex. article 29,4, article 32 [1]), mais elle existe également dans d’autres juridictions ayant un concept d’utilisation équitable semblable au nôtre (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande).
Reproduction à des fins pédagogiques et questions d’examen (Articles 29,4 [1] à [3])
Depuis 2012, l’exercice des articles 29,4 (1) et (2) n’est plus limité par la possibilité d’obtenir une licence octroyée par une société de gestion conformément à l’article 2 de la Loi.
Cette modification n’était pas justifiée par le but de l’exception et porte atteinte aux intérêts des petits éditeurs et des créateurs qui ne sont pas en mesure de commercialiser leurs œuvres sur un support numérique et ne perçoivent plus les redevances attachées à ces reproductions. La disposition doit être rétablie dans sa formulation pré-2012.
Dommages et intérêts préétablis — violation à des fins non commerciales (Articles 38,1 [1] b), 38,1 (1,12) et 38,1 (1,2))
La notion de fins non commerciales n’est pas définie alors que la frontière entre commercialisation et non commercialisation est de plus en plus fine dans le numérique. Le montant des dommages et intérêts (5000 $ au maximum pour toutes les violations, toutes les œuvres (article 38,1 [1] b)) et tous les titulaires de droits (article 38,1 [1,2])) est tellement bas qu’il ne permet pas aux auteurs d’exercer convenablement leurs recours, notamment en cas de violations non commerciales à grande échelle, systémiques ou institutionnalisées.
Afin de favoriser le développement continu de la création nationale et de soutenir nos auteurs, le gouvernement doit garantir dans la Loi des recours effectifs pour les titulaires de droits, même en cas de violation non commerciale.
Conclusion
L’érosion accélérée du droit d’auteur canadien doit cesser. Il est urgent que le gouvernement affiche son soutien à une culture nationale forte en corrigeant les effets pervers des modifications de 2012. Qu’il favorise un dialogue et un équilibre réel entre les auteurs et les utilisateurs, incluant les établissements d’enseignement en encadrant de façon claire les exceptions. Un équilibre dont la gestion collective est le garant en conjuguant accessibilité et rémunération des auteurs et de leurs éditeurs.
ANNEXE 1 – Notes, citations et bibliographie
1- Les frais de gestion sont déterminés par le conseil d’administration.
2- Quelques affirmations extraites des témoignages des représentants du secteur de l’éducation lors des audiences en 2012 :
Paul Davidson, ASSOCIATION DES UNIVERSITÉS ET COLLÈGES DU CANADA (15 février 2011) :
« (…) En termes simples, les modifications que l'on se propose d'apporter à l'utilisation équitable ne compromettront pas la vente de livres, en particulier des manuels de classe, ni les recettes des sociétés de gestion du droit d'auteur. »
Ramona Jennex, CONSEIL DES MINISTRES DE L’ÉDUCATION (24 mars 2011) :
« Il n'y a rien dans le projet de loi C-32 qui change la relation actuelle entre le secteur de l'éducation, les éditeurs, les fournisseurs de contenu, les sociétés de gestion collective et la Commission du droit d'auteur. »
« Je pense qu'il y a confusion concernant la perte de revenu pour les auteurs et pour les membres de la collectivité des créateurs. Nous, les ministres de l'Éducation du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, nous voulons que les amendements soient intégrés afin d'apporter les éclaircissements. Cela n'aura aucun impact sur les revenus que recevront les créateurs. Ils demeureraient inchangés. Cela ne donnerait lieu à aucun changement de revenu.
Il n'y aura aucune perte de revenu. Les revendications que vous avez présentées sont erronées. Vous parlez de l'utilisation efficace de notre argent. En aucune façon nous ne toucherions à quiconque gagnerait sa vie en créant des livres, de l'art ou de la musique. Ça ne fait pas partie de ce que nous demandons. Nous sommes ici pour obtenir des éclaircissements. »
3- http://ici.radio-canada.ca/actualite/enjeux/reportages/2003/031209/ecrivain.shtml
4- UNESCO, Guide sur la gestion collective des droits d’auteur, 2000, Paula Schepens, p.9.