Témoignage devant le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie


Témoignage de Frédérique Couette, directrice générale de Copibec 

22 mai 2018

Je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui. Je me nomme Frédérique Couette, je suis directrice générale de Copibec, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction.

Créée en 1997 Copibec est la société de gestion appartenant à la collectivité des auteurs et des éditeurs québécois. Organisme sans but lucratif, nous percevrons les redevances et les remettons aux auteurs, aux journalistes pigistes, aux créateurs et aux éditeurs après paiement de nos frais de gestion.

Il y a environ 6 ans, nous témoignions devant le comité C-32. Nous mettions alors en garde les députés contre les dérives et les risques liés à l’introduction du mot « éducation » dans l’exception d’utilisation équitable. Les représentants du secteur de l’éducation (CMEC, Universités, CAUT) tenaient un discours rassurant : jamais, affirmaient-ils, ils ne mettraient fin aux licences avec les sociétés de gestion. Il s’agissait d’une simple clarification sans aucune conséquence négative tangible pour les titulaires de droits.

Pourtant, dès le mois de janvier 2013, ces mêmes instances ont commencé à mettre fin à leurs ententes avec Access Copyright. Depuis, la situation n’a cessé de se détériorer. Ils se sont approprié le droit d’établir des politiques de copiage permettant la reproduction d’un chapitre ou 10 % d’une œuvre selon l’interprétation la plus large possible, afin de ne plus payer les redevances versées aux titulaires de droits par l’intermédiaire de leurs sociétés de gestion. Les ministères de l’Éducation, hors Québec, allant même, récemment, jusqu’à poursuivre les titulaires de droits par le biais d’Access Copyright tout en refusant de payer la redevance, pourtant minime, décidée par la Commission du droit d’auteur en 2017.

Au Québec, la situation est également préoccupante. L’Université Laval a, en juin 2014, adopté une politique de reproduction calquée sur celles appliquées par les établissements d’enseignement dans le reste du Canada. Les autres universités québécoises et les cégeps continuent de travailler avec Copibec, mais chaque renégociation des ententes entraîne une nouvelle baisse des redevances. Ainsi, la redevance annuelle par étudiant universitaire a baissé de près de 50 % - passant de 25,50 $ en 2012 à 13,50 $ en 2017- et celle des cégeps a baissé de 15 %.

Nous devons malheureusement constater que nos craintes se sont pour l’essentiel concrétisées. Les revenus de licences des titulaires de droits fondent sous la pression du milieu de l’Éducation, les litiges se multiplient et s’éternisent, pendant que la valeur des œuvres de l’esprit ne cesse d’être dévaluée à chaque renégociation des licences. Ainsi, bien que Copibec ait maintenu ses frais de gestion à 15 %, la redevance payée aux auteurs, créateurs et éditeurs, a baissé de 23 % pour chaque page copiée par les universités.

Les universités vous ont parlé des millions qu’elles dépensent en budget d’acquisition pour accéder au contenu des grands éditeurs étrangers de revues scientifiques.

Mais, autour de 80 % des déclarations de reproduction que nous recevons, quel que soit le niveau d’enseignement, portent sur des reproductions de livres et non de revues internationales. Ce ne sont pas les grands groupes étrangers d’édition de revues qui ont pâti de la baisse des redevances, mais bien nos petits et moyens éditeurs, nos éditeurs d’ici. Ceux pour qui les redevances représentent en moyenne 18 % de leurs bénéfices nets. Pour certains éditeurs de livres, elles peuvent représenter plus de 30 % des bénéfices nets. Ces revenus contribuent aussi de façon significative à la pérennité de revues spécialisées canadiennes et québécoises et peuvent faire la différence entre la survie ou la faillite de la publication. Pour nos auteurs, dont la situation est déjà précaire, tout affaiblissement des revenus en provenance d’un des maillons de la chaine du droit d’auteur se répercute sur leur capacité financière à créer.

L’expérience québécoise présente, malgré tout, un exemple de gestion collective permettant la négociation d’ententes entre utilisateurs et titulaires de droits. Je ne vous dirais pas que tout va bien, ce n’est pas le cas. En fait, si rien n’est entrepris pour rectifier l’effet désastreux des modifications de 2012, la situation au Québec n’ira qu’en se dégradant avec une décroissance constante des redevances ou leur disparition pure et simple. Actuellement, les étudiants des universités québécoises payent 13,50 $ par année pour la licence de Copibec. Cela représente moins d’un ½ de 1 % du total des frais de scolarité annuel moyen d’un étudiant québécois (environ 3 500 $). De plus, les ententes sont signées avec les universités et rien ne les oblige à répercuter ces coûts sur les étudiants. Après tout, pour une université tel que Concordia ou l’Université de Montréal, cela représente respectivement, pour l’année universitaire 2017-2018, 0,08 % et 0,07 % de leur budget de fonctionnement annuel1.

Le frais de scolarité ne sont pas plus élevés au Québec que dans le reste du Canada. Payer des redevances pour la reproduction d’extraits d’œuvres n’a jamais mis le système éducatif canadien en péril ni entraîné le surendettement des étudiants.

On vous a présenté l’exception d’utilisation équitable à des fins d’éducation comme l’outil par excellence de l’accessibilité aux œuvres. Nous restons extrêmement perplexes sur ces affirmations qui ne sont soutenues par aucune démonstration pertinente. En revanche, nous savons que la gestion collective a toujours comporté cet élément d’accessibilité aux œuvres, incluant les œuvres sur support numérique, grâce aux ententes signées avec les sociétés de gestion étrangères membres de la Fédération internationale des organisations de droits de reproduction (IFRRO).

Atout indéniable d’une loi équilibrée, la gestion collective concilie accessibilité des œuvres et facilité de gestion, d’une part, avec rémunération des titulaires de droits grâce au paiement de redevances d’un montant raisonnable, d’autre part. Elle favorise non seulement l’accès immédiat à la connaissance, mais elle préserve la création et la diversité culturelle de demain. Ce n’est pas sans raison que l’UNESCO considère que la gestion collective est « un élément essentiel de construction d’un système national moderne de protection du droit d’auteur, capable de concourir efficacement à la dynamique du développement culturel. »2

Les droits fondamentaux protègent la rémunération des auteurs et éditeurs. La Déclaration universelle des droits de l’homme énonce que « tout travail mérite salaire » et protège la propriété intellectuelle. Le droit d’auteur, dans toutes ses composantes, est intrinsèquement lié à la liberté d’expression des auteurs en leur permettant d’obtenir des revenus indépendants qui favorisent une indépendance de pensée.

Monsieur le Président, messieurs les vice-présidents, membres du Comité, je vous remercie de nous avoir écoutés aujourd’hui. Je tiens à souligner que nos demandes s’inscrivent dans une démarche de modernité et d’avenir d’une société qui investit dans sa culture à l’ère du numérique. La gestion collective n’est pas un modèle du passé, mais un modèle contemporain garant d’accessibilité et de diversité culturelle. Vos décisions à l’issue du processus actuel auront un impact fondamental sur l’avenir du secteur du livre et du développement culturel du Canada et du Québec.

Je conclurai ma présentation en citant ce passage du Cadre stratégique du Canada créatif (2017), concernant l’examen de la loi sur le droit d’auteur : « Notre cadre du droit d’auteur est un élément essentiel de notre économie créative, et le restera. En vertu d’un régime de droit d’auteur efficace, les créateurs peuvent tirer profit de la valeur de leurs œuvres, et les utilisateurs peuvent continuer d’avoir accès à une vaste gamme de contenu culturel. »3 La gestion collective s’intègre dans les objectifs poursuivis par la politique culturelle canadienne.

 

1- Données de l’Université de Montréal
Source : http://recteur.umontreal.ca/fileadmin/recteur/pdf/budget/Presentation-Budget-UdeM-2017-18.pdf p.18
Données de l’Université Concordia
Source : https://www.concordia.ca/fr/a-propos/recteur-vice-chancelier/budget-2017-18.html

2- UNESCO, GUIDE SUR LA GESTION COLLECTIVE DES DROITS D’AUTEUR, 2000, Paula Schepens, p.9.

3- Patrimoine canadien. Le Cadre stratégique du Canada créatif, p.18, 2017, https://www.canada.ca/content/dam/pch/documents/campaigns/creative-canada/CCCadreFramework-FR.pdf