Modèle de rémunération des artistes: positionnement de Copibec


Modèle de rémunération des artistes: positionnement de Copibec

Le 29 novembre dernier, notre directrice générale Me Frédérique Couette comparaissait devant le Comité permanent du patrimoine canadien dans le cadre de l’examen des modèles de rémunération pour les artistes et les créateurs dans le contexte du droit d’auteur. 

Témoignage de Frédérique Couette

Je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui. Je me nomme Frédérique Couette, je suis directrice générale de Copibec, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction.

Créée en 1997, Copibec est la société de gestion créée par les auteurs et les éditeurs québécois. Organisme à but non lucratif, nous octroyons des licences et remettons les redevances aux auteurs, journalistes pigistes, créateurs et éditeurs. Nous gérons ainsi annuellement des millions d’utilisations, traditionnelles ou numériques, dont la gestion individuelle serait trop complexe. La gestion collective, c’est l’exercice du droit d’auteur et des droits connexes par des organismes qui agissent dans l’intérêt et au nom des titulaires de droits.

L’UNEQ vous exposera la situation économique des écrivains québécois dont seulement 10% à 15% peuvent vivre de leur plume. Dans un marché aussi restreint que le nôtre, où un livre devient un livre à succès avec 3000 exemplaires vendus, les revenus de droits d’auteur autres que ceux provenant de la vente des œuvres revêtent une importance particulière tant pour les auteurs que pour leurs éditeurs. Le respect des droits d’auteur demeure donc essentiel à la poursuite des activités de création des auteurs et à la survie de l’industrie de l’édition. Les quelque 200 millions de dollars remis aux auteurs et aux éditeurs par Copibec au cours de ses vingt ans d’existence soutiennent ainsi la pérennité d’un secteur culturel innovant.

Lors du processus de révision de la Loi sur le droit d’auteur ayant mené aux modifications de 2012, nous avions alerté les députés et le gouvernement des effets négatifs qu’auraient, sur les revenus des auteurs et des éditeurs, l’introduction de trop nombreuses exceptions à la Loi et l’ajout du mot « éducation » dans l’exception d’utilisation équitable. Nous devons malheureusement constater que nos craintes se sont pour l’essentiel concrétisées.

Les intervenants du milieu de l’éducation affirmaient qu’il s’agissait là d’une simple clarification et que les licences continueraient d’être payées. Pourtant, dans le mois suivant l’adoption des modifications, les universités québécoises demandaient à renégocier leurs licences avec Copibec et exigeaient une baisse de 18% de la redevance annuelle par étudiant. Depuis chaque renégociation des ententes avec les universités et les cégeps québécois entraîne une nouvelle baisse des redevances. La redevance annuelle par étudiant universitaire a ainsi baissé de près de 50% - passant de 25,50$ en 2012 à 13,50$ en 2017- et celle des cégeps de 15%.

À l’extérieur du Québec, les universités, les collèges et les ministères de l’Éducation ont mis fin dès janvier 2013 à leurs licences avec Access Copyright et poussaient les titulaires de droits dans une spirale de recours judiciaires. Ces établissements s’autorisent à reproduire, gratuitement, de manière systématique et institutionnalisée, des extraits d’œuvres pour lesquelles ils payaient auparavant par le biais des licences avec la société de gestion collective. En juin 2014, l’Université Laval suivait ce modèle et ne renouvelait pas sa licence avec Copibec, forçant ainsi les titulaires de droits à entreprendre une action collective à son encontre. Heureusement, Copibec et l’Université ont récemment conclu une entente à l’amiable et permis ainsi à toutes les parties impliquées de bénéficier d’un dénouement favorable.

Au cours des cinq dernières années, on ne peut que constater une multiplication des litiges et une érosion constante des revenus de licences collectives, sous la pression du milieu de l’éducation. À titre d’exemple, nos auteurs, créateurs et éditeurs, ont subi depuis 2012, et bien que Copibec ait maintenu ses frais de gestion à 15%, une baisse de 23% de la redevance payée pour chaque page copiée par les universités

L’impact de cette constante décroissance des revenus de gestion collective est très important puisque les revenus de licence distribués par Copibec proviennent pour près de 75% du secteur de l’éducation. Ce sont les auteurs, les créateurs et les éditeurs québécois qui en sont le plus affectés puisque des quelque 72 millions de copies qui nous sont déclarées annuellement la majorité provient d’œuvres québécoises. Nos auteurs et nos créateurs subissent de plein fouet la baisse des revenus de la gestion collective alors que leur situation déjà précaire et leur capacité financière à créer se dégradent toujours plus avec tout fléchissement des revenus en provenance d’un des maillons de la chaîne du droit d’auteur. Ce sont aussi nos entreprises du secteur de l’édition qui s’en trouvent fragilisées puisque 80% des déclarations reçues annuellement portent sur des reproductions de livres et les redevances qui en découlent représentent en moyenne 18% de leurs bénéfices nets. Dans un marché restreint tel que le nôtre, les redevances venant de la gestion collective contribuent de façon significative à la pérennité de revues culturelles, au maintien de nos maisons d’édition afin qu’elles continuent de raconter notre histoire, de rendre accessible la dramaturgie québécoise ou la littérature des premières nations, et de produire des contenus pédagogiques répondant aux exigences spécifiques de notre système scolaire et aux besoins des élèves en difficulté d’apprentissage.

Ne fermons pas les yeux, c’est la diffusion de notre culture et l’idée que nous nous faisons de notre patrimoine culturel qui sont en jeu.

Face à la dégradation des revenus et aux transformations mues par le numérique, les titulaires de droits ne sont pas restés inactifs et ont su faire évoluer leur société de gestion pour l’adapter aux nouveaux besoins des utilisateurs d’œuvres. Ainsi, pour répondre à l’arrivée des supports de reproduction numériques, ils ont confié à Copibec la gestion de nouveaux droits. Si la reprographie reste encore le mode privilégié de copie dans les milieux éducatifs, les utilisations telles que la projection en classe, la numérisation, l’utilisation de plateformes pédagogiques, ou le partage entre élèves munis de tablettes, sont désormais autant d’utilisations prévues par nos licences.

Avec notre système de gestion SAVIA, les utilisateurs peuvent libérer les droits d’auteur en ligne et nous avons accéléré le traitement des données reçues et les paiements aux titulaires de droits.

Nous avons développé, en partenariat avec des éditeurs, le service DONA permettant aux établissements d’acquérir une œuvre sur un support numérique adapté aux besoins des élèves ayant un handicap perceptuel. DONA continuera d’évoluer pour répondre au mieux aux besoins des établissements d’enseignement et des élèves.

En 2014, Copibec et ses partenaires ont également créé SAMUEL, pour Savoirs multidisciplinaires en ligne, afin d’offrir aux écoles et collèges québécois, mais aussi à des communautés francophones hors Québec et à des conseils scolaires des premières nations, un accès à des contenus francophones canadiens diversifiés et de qualité par le biais d’une plateforme de contenus numérisés.

Nous continuons d’innover afin de valoriser la culture d’ici et de favoriser la découvrabilité des œuvres tout en privilégiant accessibilité et rémunération.

En matière de modèle de rémunération des titulaires de droits, la gestion collective fait partie intégrante des sources de revenus des auteurs et des éditeurs. C’est un modèle efficace, polyvalent, garant d’accessibilité et de diversité culturelle, et mondialement reconnu. Il s’inscrit dans une démarche de modernité et d’avenir d’une société qui investit dans sa culture à l’ère du numérique.

À ce titre, l’expérience québécoise en matière de gestion collective, malgré la baisse regrettable des redevances, offre un modèle performant qui a su évoluer pour s’adapter aux besoins des utilisateurs sans jamais perdre de vue la nécessité de conjuguer accessibilité aux œuvres et rémunération pour leur utilisation. Dans ce modèle, le montant de la redevance annuelle payée pour l’utilisation des œuvres a toujours été très abordable. Elle représente aujourd’hui, en moyenne, pour un étudiant universitaire au Québec moins d’un ½ de 1% du total de ses frais de scolarité annuels. Et pour une université moins de 1\10 de 1% du budget de fonctionnement annuel.

Payer des redevances pour la reproduction d’extraits d’œuvres n’a jamais mis le système éducatif canadien en péril, ni entraîné le surendettement des étudiants.

Bien que la réforme de la Commission du droit d’auteur ne relève pas directement de ce comité, je tiens à souligner que nous sommes profondément déçus que les réformes proposées pour moderniser la Commission du droit d'auteur ne traitent pas de l’harmonisation des dommages-intérêts légaux accordés aux sociétés de gestion. Le processus d’examen de la Loi sur le droit d’auteur auquel vous participez sera long et, pendant ce temps, les auteurs et les créateurs québécois ne reçoivent pas les redevances auxquelles ils ont droit pour l’utilisation massive de leurs œuvres par les établissements d’enseignement hors Québec. Cette situation perdure alors même que des tarifs ont été certifiés par la Commission du droit d'auteur et que la Cour fédérale a rendu une décision établissant clairement que les politiques de copies de ces établissements d’enseignement ne sont pas équitables. Cette question cruciale doit être résolue par un amendement à la loi. Entre-temps, nous exhortons le gouvernement fédéral à agir maintenant pour inciter au rétablissement de relations saines, durables et nécessaires entre les auteurs d’œuvres littéraires, par le biais de leur société de gestion, et le milieu de l’éducation.

Je conclurai ma présentation en citant ce passage du Cadre stratégique du Canada créatif (2017), concernant l’examen de la Loi sur le droit d’auteur : « Notre cadre du droit d’auteur est un élément essentiel de notre économie créative, et le restera. En vertu d’un régime de droit d’auteur efficace, les créateurs peuvent tirer profit de la valeur de leurs œuvres, et les utilisateurs peuvent continuer d’avoir accès à une vaste gamme de contenu culturel. » La gestion collective s’intègre parfaitement dans ces objectifs et établit cet équilibre difficile entre accès et rémunération.