Éditorial
Frédérique Couette — Directrice générale de Copibec
Chaque année, le 23 avril est une date incontournable pour les créatrices, les créateurs, les maisons d’édition et les librairies. La Journée mondiale du livre et du droit d’auteur (JMLDA) est depuis longtemps une date de prédilection pour souligner l’amour des livres et rappeler l’importance du droit d’auteur dans le processus de création.
Partout dans le monde, le livre, les autrices et les auteurs sont célébrés de mille et une façons. En 2021, au Québec, elle sera célébrée notamment par le lancement de la 2e phase de la campagne #Jelisquébécois.
Mais depuis quelques années, dans notre coin de l’Amérique du Nord, cette journée est aussi soulignée par des gestes de mobilisation pour convaincre le gouvernement fédéral de renforcer la Loi sur le droit d’auteur. On pense, entre autres, à la campagne Une vie sans art, vraiment ? de 2019, où 6 artistes ont lancé un appel au gouvernement pour mettre fin aux nombreuses exceptions dans la Loi.
Une réforme du droit d’auteur d’ici 1 an ?
Le 15 avril dernier, Le Devoir nous apprenait qu’une nouvelle phase du réexamen de la Loi sur le droit d’auteur serait lancée avec l’objectif nécessaire d’encadrer les géants du web. Du même coup, nous apprenions que le gouvernement fédéral s’est établi un horizon de 1 an pour procéder à une réelle réforme du droit d’auteur.
Depuis plusieurs années, le milieu du livre, Copibec en tête, milite sans cesse pour que les nombreuses exceptions ajoutées au droit d’auteur en 2012 soient encadrées. Rencontres avec les élus, pétitions, mobilisations, campagnes web, dépôts de mémoires… Les autrices, les auteurs et les maisons d’édition se font entendre et attendent enfin un engagement concret du gouvernement.
En cette 9e JMLDA depuis la réforme désastreuse de la Loi sur le droit d’auteur de 2012, Copibec souhaite rappeler à François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie responsable du dossier de la Loi sur le droit d’auteur, et au ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault, les graves conséquences économiques que les exceptions infligent au milieu du livre.
Dans le rapport Paradigmes changeants, les députés membres du Comité permanent du patrimoine canadien ont demandé à la Chambre des communes de réviser la Loi sur le droit d’auteur afin d’encadrer de nombreuses exceptions privant nos autrices, nos auteurs et nos maisons d’édition de revenus importants.
Dans un autre rapport du Comité permanent de l’industrie des sciences et de la technologie, leurs collègues ont souligné qu’il était important que la Chambre des communes se penche sur la question des exceptions, car l’interprétation qui en est faite par les établissements d’enseignement est problématique.
Il est plus que temps que ces recommandations des élues et élus de la Chambre des communes, réclamées depuis fort longtemps par le milieu du livre, soient enfin mises en action dans une réforme de la Loi sur le droit d’auteur.
D’ailleurs, à l’initiative d’Alain Rayes, le Comité permanent du Patrimoine canadien vient d’adopter une motion déclarant que le Comité entendra des témoins sur les difficultés constantes auxquelles sont confrontés les éditeurs, les créateurs et les artistes en ce qui a trait à une juste rémunération de leur travail dans le domaine de la publication de livres éducatifs au Canada.
Des exceptions exploitées abusivement
Depuis trop longtemps, les établissements d’enseignement abusent d’exceptions floues inscrites à la Loi sur le droit d’auteur. Rappelons qu’en 2012, la Chambre des communes adoptait une nouvelle Loi sur le droit d’auteur criblée d’exceptions mal définies pour le secteur de l’éducation. Une décision grave dont les conséquences financières sont très importantes pour les autrices, les auteurs et les maisons d’édition depuis maintenant près de 10 ans.
Lors de cette réforme, certaines exceptions ont été modifiées ou ajoutées et les établissements d’enseignement les ont interprétées à tort comme les libérant de l’obligation de rémunérer les titulaires de droits d’auteur pour l’utilisation massive de leurs œuvres.
L’ajout de la notion d’éducation à l’exception d’utilisation équitable fait particulièrement grincer des dents. Alors que la notion d’utilisation équitable est complexe, non quantifiable et demande un processus d’analyse au cas par cas, de trop nombreuses maisons d’enseignement ont choisi d’appliquer des politiques uniformes en utilisant des critères quantitatifs. D’autres menacent également de le faire.
Cette situation, au Québec, a exercé une pression à la baisse sur la redevance payée par les établissements d’enseignement supérieur. La redevance payée par les cégeps a diminué de plus de 15%. Pour les universités, c’est 50 % en moins.
Dans le reste du Canada, la menace a été mise à exécution. La quasi-totalité des établissements d’enseignement a cessé de rémunérer les créatrices et les créateurs et leurs maisons d’édition pour l’utilisation massive de leurs œuvres dans les salles de cours. Résultat : les redevances versées pour ces utilisations ont chuté de 80 %.
Limiter les exceptions et miser sur la gestion collective
Les solutions à cette dégringolade des redevances versées par les établissements d’enseignement sont connues de tous. Les autrices, les auteurs et les maisons d’édition l’ont dit haut et fort dans les salons du livre (ici et ici), Copibec les a détaillées dans ses mémoires (ici et ici).
- Limiter l’application de l’utilisation équitable lorsqu’il est possible d’obtenir une licence à coût raisonnable par l’entremise d’une société de gestion
- Établir des montants de dommages et intérêts dissuasifs pour éviter les recours en justice en cas de violation du droit d’auteur
- Confirmer la nature obligatoire des tarifs établis par la Commission du droit d’auteur
Le coût des licences d’utilisation de droits d’auteur est négligeable pour les établissements d’enseignement et la communauté étudiante. Pour les universités, cela représente moins de 0,1 % de leur budget de fonctionnement et pour un étudiant universitaire moins de 0,5 % de ses frais universitaires.
Si pour les établissements d’enseignement, les montants à payer sont dérisoires, pour les autrices, les auteurs et les maisons d’édition, ces montants sont importants et leur permettent de poursuivre leurs activités de création.
Ce refus de payer les titulaires de droits d’auteur est d’autant plus incompréhensible que celui-ci coûte cher aux établissements d’enseignement, aux contribuables et aux titulaires de droits. En effet, non seulement cette décision entraîne des recours juridiques pour toutes les parties, elle oblige les établissements d’enseignement à internaliser des coûts de gestion des droits d’auteur plus élevés que le coût des licences !
La gestion collective : une solution efficace et peu onéreuse
Comme le relève le spécialiste des questions de propriété intellectuelle Hugh Stephens, en refusant de se procurer des licences d’utilisations, les établissements d’enseignement sont contraints d’internaliser la gestion des droits d’auteur.
Selon l’évaluation de Stephens, les établissements canadiens d’enseignement supérieur (hors Québec) dilapident annuellement au minimum 12,5 millions de dollars pour une gestion inefficace des droits d’auteur. Gestion qui n’assure même pas une rémunération des titulaires de droits. Et ce montant n’inclut pas les frais juridiques jetés par les fenêtres pour défendre devant les tribunaux ce choix insensé.
Ces 12,5 millions, c’est ce qui en coûterait aux établissements d’enseignement canadiens hors Québec pour acquérir une licence. Une licence qui assurerait une gestion efficace par des spécialistes du droit d’auteur ainsi qu’une rémunération juste et équitable aux autrices, aux auteurs et aux maisons d’édition.
Énième preuve que la gestion collective est, pour reprendre les mots de l’UNESCO, « un des moyens les plus appropriés pour garantir le respect des œuvres exploitées et la juste rémunération de l’effort créateur de la richesse culturelle, tout en facilitant l’accès rapide du public à une culture vivante en constant enrichissement. »
Réformons la Loi sur le droit d’auteur
Pour les titulaires de droits d’auteur et les membres de deux comités permanents de la Chambre des communes, il est évident que l’interprétation des exceptions par les établissements d’enseignement est problématique et que l’on doit y remédier.
Copibec est prête à collaborer avec Ottawa pour mettre en place ces solutions et enfin permettre aux créatrices et créateurs de partout au pays de recevoir les redevances auxquelles ils ont droit.
Passons à l’action. Le gouvernement doit avoir le courage de mettre fin à une situation intenable et inéquitable.
Frédérique Couette
Directrice générale