La protection du droit d’auteur sur les œuvres — en vigueur durant toute la vie de l’auteur plus 50 années — passe bientôt à la vie de l’auteur plus 70 années suivant son décès.
- Pourquoi ce changement ?
- Quels sont les impacts pour les autrices, les auteurs et leurs ayants droit ?
- Quand est-il des utilisatrices et des utilisateurs d’œuvres ?
Pourquoi limiter la durée du droit d’auteur ?
Le droit d’auteur a toujours été pensé tel un exercice d’équilibre pour les gouvernements qui le mettent en œuvre.
D’un côté, le droit d’auteur constitue un monopole d’exploitation d’une œuvre pour le titulaire de droit. La personne détenant ce monopole empêche les autres citoyennes et citoyens de bénéficier de l’exploitation de l’œuvre en question.
De l’autre côté, les citoyennes et citoyens bénéficient de pouvoir accéder aux œuvres. La dissémination de la culture dans la population est souhaitée, et doit tout de même respecter le travail des créatrices et des créateurs.
Ainsi, la Loi sur le droit d’auteur prévoit une fin au monopole du titulaire du droit d’auteur afin d’assurer que toutes et tous pourront, après un certain délai, utiliser l’œuvre et contribuer à l’avancement de la société.
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Pourquoi maintenant ?
Le Canada a signé, en 2018, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, qui contenait des clauses demandant l’uniformisation des régimes de protection des droits d’auteur.
L’entente stipule que le Canada doit adapter sa Loi d’ici au 31 décembre 2022, pour que la durée du droit d’auteur soit conforme à toute la vie de l’auteur et les 70 années suivant son décès.
Le gouvernement fédéral a adopté, dans sa Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d'autres mesures, une disposition (cachée à la page 328) allongeant la durée du droit d’auteur à 70 ans après la mort de l’auteur.
Cette loi devrait entrer en vigueur avant la fin de l’année 2022. Elle fait actuellement l’objet d’une étude par le Sénat et de relectures en Commission parlementaire.
Qu’arrive-t-il aux droits d’auteur sur le point d’expirer ?
Le gouvernement canadien a décidé de ne pas insérer de mesures transitoires pour faire appliquer la nouvelle durée du droit d’auteur.
Normalement, 50 ans après le décès de l’auteur, l’œuvre tombe automatiquement dans le domaine public. Par contre, lorsque la Loi changera à la fin de l’année 2022, elle aura pour effet de conserver la protection par droit d’auteur des œuvres d’auteurs décédés en 1972… jusqu’en 2042.
C’est le même scénario qui s’était produit aux États-Unis en 1998 lorsque la Loi Sonny Bono avait allongé le droit d’auteur, le faisant passer de 50 ans après le décès de l’auteur à 70 ans après son décès. Entre 1998 et 2019, aucune nouvelle œuvre n’est tombée dans le domaine public.
Aussi, ce changement de la Loi canadienne n’aura pas d’effet rétroactif. Ce qui signifie que les œuvres se trouvant déjà dans le domaine public y demeureront.
L'impact pour les ayants droits
Ce changement affecte d’abord et avant tout les personnes légataires des droits patrimoniaux et des droits moraux des autrices et des auteurs.
L’extension de la durée du droit d’auteur leur bénéficie directement, profitant d’une période plus longue d’exploitation de l’œuvre. Ce sont 20 années supplémentaires d’exploitation des droits économiques et moraux liés à l’œuvre que pourront faire les légataires.
Cette extension peut également bénéficier à la créatrice ou au créateur au courant de sa vie. Compte tenu que sa portée temporelle est allongée, si le titulaire de droit souhaite licencier ou céder certains droits sur son œuvre, il pourra demander une meilleure compensation.
L’impact pour les utilisatrices et utilisateurs d’œuvres
Les utilisatrices et les utilisateurs d’œuvres devront être plus vigilants avec le choix des œuvres, puisque les chances qu’elles soient protégées par le droit d’auteur augmentent.
Davantage d’œuvres ne seront pas dans le domaine public, incitant parfois certains à se tourner vers d’autres types d’œuvres libres de droit.
L’équilibre de la Loi remis en doute
Des spécialistes en droit d’auteur ont soulevé que l’allongement de la durée de la protection risque de mettre en péril l’équilibre que tente d’établir la Loi sur le droit d’auteur.
Le gouvernement garde en tête la protection des intérêts des créatrices et des créateurs, la rétribution adéquate de leur labeur, avec ceux des utilisatrices et des utilisateurs d’œuvres.
En allongeant la durée du droit d’auteur, il limite davantage l’accès de la population à diverses œuvres. De plus, certains spécialistes croient qu’allonger la durée du droit d’auteur n’a pas les retombées escomptées pour les autrices et les auteurs.
Coup d’épée dans l’eau ?
Une étude australienne de 2021 fait valoir que l’extension de la durée du droit d’auteur n’a pas vraiment d’impact sur les revenus générés pour l’auteur et ses légataires. Selon cette étude, les profits générés par une œuvre se concrétisent surtout dans les années suivant la publication de l’œuvre.
Ajouter vingt ans de protection ne générerait que des revenus marginaux sur la plupart des œuvres.
Selon cette perspective, étendre le droit d’auteur renforcerait surtout la mainmise d’intérêts corporatifs sur des œuvres détenus par de grandes entreprises.