Un texte de Gilles Herman éditeur
Les intelligences artificielles au secours du livre ?
Lorsque l’on parle d’intelligence artificielle (IA), il est facile de s’emballer et de vouloir y voir la fin de la pensée critique ou alors le début d’un nouveau cyberhumanisme, au choix. Gardons les pieds sur terre et regardons ce qu’il en est objectivement.
Loin d’être des entités conscientes sur le point de s’éveiller, les IAs ne sont que de nouveaux outils au service de notre créativité. Outils performants, certes, et ce n’est pas la première révolution à laquelle l’humanité est confrontée.
Entendons-nous, « intelligence artificielle » est déjà trompeur. Tant que Siri ne sera pas capable de faire jouer du premier coup le titre demandé, je me garderai une petite gêne.
« Intelligence algorithmique » serait plus juste. Cela nous rappelle que, derrière tous ces effets de toges, il n’y a finalement que de la puissance de calcul, basée sur de l’apprentissage réalisé à partir du travail créatif humain. Et c’est ce qui nous amène à nous questionner sur la place que prendront ces outils dans nos domaines professionnels.
Un milieu technophile
Contrairement à ce qu’on peut penser, le secteur du livre est très innovant et souvent à l’affût des nouvelles technologies. Dès 2008, à l’initiative de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), un partenariat avec De Marque donnait naissance à l’entrepôt numérique qui, aujourd’hui, permet la diffusion de notre littérature partout dans le monde, en proposant des formules novatrices de prêt numérique et d’accessibilité dans les bibliothèques publiques et les écoles.
Tout ça pour dire que les défis technologiques, nous les connaissions, et nous les relevons.
Tester les limites
Depuis quelques mois, ChatGPT fait couler beaucoup d’encre. Comme tout le monde, je suis allé tester les limites de l’engin, après m’être aussi amusé du côté des images avec DALL·E.
Je lui ai demandé de rédiger toute sorte de textes, de la notice biographique à la quatrième couverture d’un livre, de résumer des chapitres ou encore de répondre à des questions d’information.
Il ne faut pas se laisser endormir par toutes les erreurs du robot conversationnel. L’essentiel n’est pas dans la justesse de ses réponses (qui ne dépend que des accès à des bases de données), mais plutôt dans sa compréhension du problème posé et ses tentatives d’y répondre. C’est proprement impressionnant et stimulant.
Inquiétant ?
Certainement pas. Encore une fois, l’apprentissage profond qui se cache derrière ses prouesses se base sur les sommes astronomiques de données que l’algorithme peut traiter. Et en fin de compte, ses créations ne sont jamais que de la régurgitation et du mimétisme de ce qu’une intelligence humaine et réellement créatrice peut réaliser.
Et tous puissants qu’ils puissent être, ces réseaux ne feront jamais de recherche originale.
En tant qu’éditeur de livre d’histoire, je suis à la recherche d’informations originales sur des personnages, des moments de notre histoire et des tendances sociétales qui jettent un regard nouveau sur quelque chose de méconnu ou mal compris. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit le plus souvent du fruit d’une longue réflexion, suite à une recherche conséquente en archive, le tout appuyé par d’innombrables lectures.
Pour la recherche et la découvrabilité
Par contre, on voit déjà apparaître des outils algorithmiques pour soutenir les travaux de recherche. Par exemple un logiciel permettant de déchiffrer des documents manuscrits à l’écriture illisible. Tel un Champollion décryptant des hiéroglyphes, cet outil permet d’aider la compréhension de documents et vient en support au travail de création.
Plus que ça, il permet de numériser textuellement des milliers de documents, les rendant ainsi accessibles à la recherche par mot-clé.
Autre exemple, depuis 2018, un groupe de passionnés développe au Québec un service appelé TAMIS qui se penche sur la génération de métadonnées par approches algorithmiques appliquées aux contenus des œuvres. Plus simplement, les outils de TAMIS traitent les textes et les images pour fournir des mots-clés, des descriptions et des thématiques pour décrire les œuvres.
En retournant ces métadonnées dans les moteurs de recherche, cela permet d’en augmenter considérablement la découvrabilité.
Une évolution technique
Ce texte, écrit par un humain, a d’abord été corrigé par Antidote, le célèbre correcteur orthographique, et sera ensuite relu par une personne qui décèlera toutes sortes d’incongruités qu’il faudra corriger.
De la même façon que le tracteur n’a pas menacé l’agriculture, mais l’a transformée, les outils algorithmiques vont nous aider à travailler mieux, plus efficacement, vont jouer un rôle de soutien à l’écriture ... et ne seront pas une panacée non plus.
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Gilles Herman est directeur général des éditions du Septentrion et vice-président de Copibec. Ingénieur de formation, c’est à partir de la technologie qu’il est entré dans le monde de l’édition et qu’il essaie aujourd’hui de faire le lien entre passé et avenir.