ChatGPT dans l'œil de Patrick Bourbeau


ChatGPT dans l'œil de Patrick Bourbeau

Un texte de Patrick Bourbeau, avocat

Au cours des derniers mois, l’émergence fulgurante des modèles de langage automatisé, dont le plus célèbre est ChatGPT, a obligé les médias écrits, tout comme la société en général, à se poser plusieurs questions relatives à leur utilisation. Parmi celles-ci, les enjeux juridiques et éthiques revêtent une importance primordiale, notamment en ce qui a trait à la responsabilité civile, la propriété intellectuelle et la transparence. 

 

Médias en crise

Ce n’est un secret pour personne : l’hégémonie de Google et Facebook a porté un coup dur aux résultats financiers de plusieurs médias traditionnels depuis la dernière décennie. 

Ceux-ci pourraient donc s’avérer d’autant plus tentés de confier la rédaction de certains contenus à faible valeur ajoutée à un outil de langage automatisé. On peut, entre autres, penser à des comptes-rendus de l’activité boursière ou à des résumés de joutes sportives de circuits mineurs. Ce type de contenu verra vraisemblablement sa valeur être diluée.

D’autres restreindront plutôt leur utilisation de ces nouveaux outils à l’élaboration de résumés des textes de nouvelles, de boîtes de faits saillants ou de notifications automatiques.

 

Question de responsabilité

Dans tous les cas, les médias écrits doivent être conscients de leur responsabilité civile qui continuerait de s’appliquer au contenu produit d’une telle manière. Les médias devraient en tout temps s'assurer que ce contenu, tout comme l’ensemble des contenus publiés, ne soit pas diffamatoire et respecte les normes journalistiques applicables.

Il s’agit d’un enjeu de taille, puisqu’au moment d’écrire ces lignes, les « normes journalistiques applicables » relatives à l’utilisation d’un modèle de langage automatisé sont loin de faire l’objet d’un consensus. Elles en sont plutôt à l’étape des premiers balbutiements.

 

Conception assistée par humain

Il sera primordial que les médias se dotent à court ou à moyen terme de politiques claires pour l'utilisation d’outils tels que ChatGPT. Ces politiques devront notamment définir les types de contenu pour lesquels l'utilisation de modèles de langage automatisé est appropriée, ainsi que les cas où une intervention humaine sera nécessaire pour assurer la qualité et la véracité des contenus produits.

Il y a fort à parier que les médias jugeront qu’une telle intervention, même minimale, est essentielle en tout temps.

 

Valeur variable

On peut présumer que l’utilisation de ces outils se limitera, tout au plus, à la rédaction de contenu à peu de valeur ajoutée. Ce qui permettra aux médias et aux journalistes de consacrer plus de temps et de ressources au journalisme de terrain.

Les entrevues de fond, l’établissement de relations de confiance avec des sources privilégiées, la présence en personne sur les lieux d’un événement et, surtout, la remise en question perpétuelle du discours officiel et des gestes posés par les responsables de nos institutions, sont tous des tâches qui ne peuvent être accomplies par ChatGPT.

Elles requièrent inévitablement une implication humaine intensive qui confère au matériel ainsi produit une valeur inestimable tant pour les médias que pour nos institutions démocratiques.

 

PI à risque

Plusieurs questions se posent également quant à la propriété intellectuelle (PI) liée aux contenus rédigés par les outils de langage automatisé. Les médias écrits doivent être conscients du risque de violation des droits de propriété intellectuelle d’un tiers lors de la publication d’un tel contenu.

Il n’existe présentement aucune façon de savoir quelles œuvres ont pu être utilisées pour « alimenter » l'outil ou pour générer la réponse à une demande donnée. Du contenu en apparence « original » produit par ChatGPT peut en fait être une copie intégrale d’une œuvre produite par un tiers sans son autorisation préalable. Il va sans dire que la publication d’un tel contenu serait contraire à la Loi sur le droit d’auteur.

Soulignons à cet égard, que les conditions d’utilisation des principaux outils de langage automatisé prennent bien soin de n’offrir aucune garantie que le contenu respectera les droits de propriété intellectuelle des tiers et n’assument aucune responsabilité à cet égard. Les médias seraient donc laissés à eux-mêmes dans l’éventualité où un tiers qui s’estimerait lésé intenterait un recours en justice pour violation de droits de propriété intellectuelle.

 

Coquille vide

L’émergence de ChatGPT et de ses acolytes soulève une question éthique épineuse : peut-il y avoir du journalisme sans… journalistes ? Nous ne tenterons pas ici d’offrir une réponse à cette question qui passerait inévitablement par une exégèse de la notion même de ce qui constitue du journalisme.

Force nous est toutefois de constater que, jusqu’à tout récemment, le contenu journalistique pouvait uniquement être produit par un être humain. Il était également bien établi dans les médias occidentaux, qu’hormis de très rares exceptions, ce journaliste signait ses textes et en assumait les propos.

 

Désir de transparence

Il semble déjà exister un certain consensus dans l’industrie médiatique quant au fait que les médias devraient faire preuve de transparence envers leurs lecteurs lorsque leur contenu n’est pas entièrement rédigé par un journaliste.

Il serait donc de mise d’indiquer clairement aux lecteurs si tout ou une partie du contenu d’un reportage a été généré par un modèle de langage automatisé. Certains médias ont commencé à divulguer leurs normes d'utilisation de ces outils et à expliquer quand et comment ils s’en servent pour générer du contenu.

Ceci n’est qu’un bref survol des grandes questions éthiques et juridiques que devront se poser les médias en lien avec l’utilisation de l’intelligence artificielle au cours des années à venir. La réflexion ne fait que commencer !

 

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Me Patrick Bourbeau est vice-président, Affaires juridiques de La Presse et président de la Canadian Media Lawyers Association. Il s’intéresse principalement au droit des médias et à la défense de la liberté d’expression. 

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