ChatGPT dans l'œil de Francis Hébert-Bernier


ChatGPT dans l'œil de Francis Hébert-Bernier

Un texte de Francis Hébert-Bernier, journaliste indépendant

 

Pigistes, l’IA ne changera pas votre monde, sauf que…

L’intelligence artificielle (IA) serait sur le point de faire son entrée dans les salles de rédaction de plusieurs grands médias comme le New York Times et le Wall Street Journal, nous apprenait récemment l’Agence France-Presse. 

S’il est indéniable que cette nouvelle technologie pourrait changer nos façons de faire, je ne suis toutefois pas de ceux qui croient qu’elle révolutionnera le métier des journalistes et encore moins des pigistes. 

 

Quelles sources pour l’IA ?

Le principal défaut de l’IA du point de vue de la méthode journalistique réside dans l’impossibilité de retracer le chemin pris par celle-ci pour fournir une information. 

Même les spécialistes du domaine qui étudient des cas d’espèce précis n’arrivent pas souvent à s’entendre sur ce qui se passe sous le capot de ces programmes. 

D’ailleurs, si on questionne directement une IA pour lui demander d’où elle tire une information, elle aura tendance à inventer des sources, voire des experts, de toutes pièces et à fournir des hyperliens qui ne mènent nulle part. 

Or de pouvoir retracer la source de toute information à sa base est l’essence même du métier de journaliste. 

Même s’il est possible que les prochaines générations d’IA soient meilleures du point de vue de la traçabilité — et j’en doute, du moins à moyen terme — les moteurs de recherches traditionnels, les passages à la bibliothèque et surtout la bonne vieille discussion avec les personnes à la source de l’information risquent de demeurer les principales façons de glaner et de vérifier des faits pour fournir nos articles encore longtemps.

 

Quel rôle pour l’IA ?

Les développeurs de solutions basés sur l’IA sont bien conscients de ces limitations et c’est pourquoi les premières formes d’outils qui feront leur entrée dans les salles de presse prendront probablement plus la forme d’assistants à la rédaction.

Toutefois, bénéficier d’une version d’Antidote légèrement plus performante est rarement ce que l’on a en tête lorsqu’on pense aux possibilités de l’IA.

Nous imaginons plutôt des générateurs de textes automatisés et oui, ils feront probablement leur apparition dans les prochaines années. Les résumés de la partie de hockey et la performance des marchés boursiers de la veille sont souvent cités comme étant les premiers textes qui seront entièrement automatisés, à ceux-ci j’ajouterais les courtes dépêches qui reprennent essentiellement les publications des agences de presse en les adaptant au style et au format d’un journal donné.

Toutefois, il serait très étonnant que ce type de texte puisse un jour être mis en ligne de façon entièrement automatisée, ne serait-ce que pour se prémunir contre les poursuites en cas d’erreurs.

Parions donc que ce type de texte sera encore longtemps révisé attentivement par de jeunes journalistes, les mêmes qui sont aujourd’hui chargés de les écrire. Malheureusement, la seule chose qui risque de changer c’est qu’on aura rendu leur quotidien moins intéressant pour de légers gains en efficacité.

 

Quel tarif au feuillet pour l’IA ?

Lorsque les prophètes des technologies parlent des possibilités de l’IA et de sa capacité à révolutionner le marché de l’emploi, iels omettent généralement un détail important : le prix !

L’IA est une technologie de pointe et coûtera probablement très cher à implanter pour les médias qui se risqueront à l’aventure.

Or les médias sont en grave crise de financement, ayant perdu la plupart de leurs revenus aux mêmes géants du web qui tentent aujourd’hui de leur vendre des outils basés sur l’intelligence artificielle.

D’ailleurs, s’il est envisageable que les plus grands organes de presses du pays comme La Presse ou le Globe and Mail décident un jour d’imiter le New York-Times, ceux-ci n’emploient que très peu les pigistes.

Nous travaillons principalement dans le monde des magazines et autres périodiques qui font de petits miracles avec des budgets qui sont bien loin de pouvoir absorber un projet technologique de cette ampleur.

De plus, avec la tendance de plusieurs médias à offrir à leurs pigistes les mêmes tarifs qu’il y a 10 ans, parions que nous resterons beaucoup plus rentables que l’IA pendant encore longtemps.

 

Francis Hébert-Bernier est journaliste indépendant et membre du CA de Copibec. D'abord recruteur en informatique et chercheur en histoire, il est passé au journalisme pour mieux décrypter le monde qui nous entoure.

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