Une règle de base du droit d'auteur est de demander la permission aux titulaires de droit avant d'utiliser le contenu qu'ils ont créé.
Ce principe s'applique-t-il aux artefacts culturels ? Ou peut-on utiliser tout et de n'importe quelle façon, sans égard pour leur communauté d’origine ?
D'abord, qu'est-ce que l'appropriation culturelle ?
Il s’agit de la réutilisation par une personne non-autorisée d’un élément appartenant à un groupe culturel minoritaire et constituant un usage mésinformé ou fait contre la volonté du groupe en question.
Dans un monde globalisé, nous assistons à l’éveil des consciences sur les rapports délicats entre différentes communautés culturelles, marqués par les inégalités des peuples et nations.
Ceci n’est pas de l’appropriation
Attention ! Essayer la nourriture d’une autre culture, écouter sa musique ou tenter d’en apprendre davantage n’est PAS de l’appropriation culturelle.
L’appropriation culturelle se produit plutôt sur un terrain de jeu non-nivelé : une des parties prenantes est avantagée, privilégiée ou tout simplement plus puissante que l’autre et peut s’approprier sans conséquences.
Un échange légitime demande que les parties se retrouvent sur un terrain de jeu équitable.
Manque de sensibilité
L’appropriation culturelle est déplorable non pas en raison d’intention malicieuse, mais du dommage causé à la communauté tenant la pratique culturelle empruntée.
Certaines communautés tentent de se réapproprier une histoire marquée par le colonialisme et même l’esclavage. Elles réapprennent encore aujourd’hui à naviguer leur réalité avec des symboles anciens et sacrés.
L’utilisation de sigles propres à ces communautés, sans prendre en compte leur contexte historique, peut manquer de discernement.
Victime de la mode
L’appropriation culturelle à des fins commerciales rajoute une couche au sentiment de désacralisation ou de violation de l’identité culturelle appropriée.
Auparavant, les étudiantes et étudiants en mode se lançaient dans des recherches approfondies pour apprendre sur les matériaux, les motifs et leur origine avant de se les approprier. Désormais, on peut ouvrir une banque d’images et prendre ce qu’on veut sans se poser de question.
Lorsqu’une grande maison de mode italienne reprend un motif traditionnel de la communité Oma du sud du Laos pour en faire un imprimé répliqué en de multiples exemplaires, cette reprise fait abstraction de tout le travail effectué pour créer le motif, le soin dans le traitement des matériaux, etc.
- Lire (en anglais) : Bel Jacobs, What defines cultural appropriation? sur BBC
Se déguiser avec la culture de l'autre
Autre exemple : certains costumes portés à l’Halloween, cette fête anglosaxonne qui soulignait auparavant le passage du nouvel an.
À l’origine, Halloween est une fête celtique, tout droit venue d’Irlande, pour célébrer la nouvelle année. Le calendrier celte s’achevait le 31 octobre, nuit du dieu de la mort, et non le 31 décembre comme aujourd’hui.
— Léa Bitton, Savez-vous pourquoi nous célébrons Halloween ? sur Paris Match
Cette fête avait comme objectif de chasser les mauvais esprits. Les fêtards revêtaient des costumes excentriques et grotesques pour faire peur aux fantômes, avant d’entamer la nouvelle année.
Aujourd'hui, Halloween est surtout un moment du calendrier que les enfants apprécient tout particulièrement pour les bonbons et bien sûr la chance de se costumer en public...
- Lire aussi : Votre costume d’Halloween est-il légal ?
En faire une commodité
L'Halloween illustre bien le phénomène d'appropriation culturelle, alors que certains fêtards « manquent de sensibilité » en empruntant des signes culturels pour leur amusement, en portant des costumes stéréotypés, sans égards ni valorisation pour les communautés dont ces artefacts sont issus.
Utiliser un élément d'une culture exotique, en tant que commodité, peut être perçu comme un geste irrévérencieux. Surtout lorsque l'élément est de nature sacrée : des vêtements de cérémonie par exemple.
Éviter l’appropriation culturelle en 5 points
L’appropriation culturelle, c’est une question d’attitude, c’est dans la manière : prendre et ne rien offrir en retour.
Et offrir quoi au juste ? Nous pouvons offrir notre ouverture d’esprit, notre curiosité saine, notre attention, notre bonne volonté à prendre part à des échanges avec les communautés culturelles, notre effort de recherche sur le sujet.
Voici 5 façons d’éviter les faux pas :
1 — Rechercher la culture
Renseignez-vous sur la source des artefacts qui vous intéressent. Dans quels contextes s’inscrivent-ils ? Quels sens portent-ils sur le plan historique ?
2 — Éviter le sacré
Certains objets ou motifs sont réservés à des usages culturels consacrés et demandent plus de respect et de révérence que d’autres. C’est le cas de la coiffe de chef des Premières Nations.
3 — Ne pas promouvoir de stéréotypes
Utiliser des expressions ou des opinons toutes faites et sans originalité est réducteur et peut s’avérer nuisible pour les communautés visées.
4 — Promouvoir la diversité
Inclure des personnes de différentes origines culturelles dans la réflexion et la prise de décision est déjà un pas en avant pour éviter de faire de l’appropriation culturelle.
5 — Partager les bénéfices d’une culture
Entrez en relation avec des représentants d’une autre culture que la sienne peut être extrêmement riche en découvertes de toutes sortes. C’est aussi une façon de se familiariser plus en profondeur avec la culture et apprendre à la respecter.
- Pour approfondir la question, lire (en anglais) : How to Avoid Cultural Appropriation & Promote Cultural Awareness Instead sur Commisceo Global
Par où commencer ?
Vous pourriez suivre un cours sur l'art des Premières Nations, comme Ohtehra’, l’art autochtone aujourd’hui.
Le cours virtuel de 7 semaines — une initiative de l’Université du Québec à Montréal et du Musée des beaux-arts de Montréal — est offert gratuitement et se déroule du 17 octobre au 22 décembre prochains, à raison de 3 heures par semaine. Vous pouvez vous inscrire jusqu’au 27 novembre 2022.
- Lire aussi : L’UQAM et le MBAM offrent un cours virtuel gratuit sur l’art autochtone sur Radio-Canada
Vers une protection juridique de propriété culturelle ?
Pour tenter de se réapproprier des éléments culturels milléniaux, des communautés autochtones et minoritaires du monde entier ont tenté de réimaginer les droits de propriété intellectuelle pour assurer la pérennité de leurs croyances et de leurs pratiques culturelles.
Si on se tourne vers le droit d’auteur, les protections sont limitées. Hormis les créations tangibles issues des communautés, comme les œuvres picturales, musicales, sculpturales et autres qui sont fixées et qui furent créés par une autrice ou un auteur, aucun mécanisme ne permet de protéger une « culture ».
À l’heure actuelle, aucun peuple ne peut d’ailleurs légalement revendiquer une création artistique issue de son patrimoine culturel ou de son histoire comme étant sienne. Les Grecs par exemple ne peuvent revendiquer de droit d’auteur sur le syllogisme issu de la Grèce antique.
Et maintenant ?
Nous restons à l’affut des développements en politiques culturelles dans le monde. Tout récemment, l'Unesco rassemblait 150 États lors d’une conférence de 3 jours sur la question, la MONDIACULT 2022.
Ce fut l’occasion pour les États participant d’adopter une déclaration historique affirmant la culture telle un « bien public mondial » :
Le texte adopté par les États définit un ensemble de droits culturels qu’il convient de prendre en compte dans les politiques publiques, allant des droits sociaux et économiques des artistes, à la liberté artistique, jusqu'au droit des communautés autochtones à sauvegarder et à transmettre leurs connaissances ancestrales, et à la protection et promotion du patrimoine culturel et naturel.
— Unesco, MONDIACULT 2022 : Les États adoptent une Déclaration historique pour la Culture