Au début de la décennie 2010, les violations de droits d'auteur ont explosé avec l’émergence des réseaux sociaux.
Des créatrices et créateurs de contenu contactaient les plateformes comme Facebook, YouTube et Twitter pour demander que les publications illicites soient retirées, sans succès. Les demandes de retrait ne pouvaient être traitées par des humains dans un délai raisonnable.
Il fallait trouver un moyen d’automatiser le traitement, sans complètement interdire aux utilisatrices et utilisateurs de médias sociaux de partager du contenu.
L’intelligence artificielle à la rescousse
Les grandes plateformes du web social ont développé des intelligences artificielles (IA) dites de « reconnaissance » pour lutter contre les utilisations illégales d’œuvres protégées.
Bien qu’elles souhaitent retenir l’attention d’un maximum d’utilisatrices et d’utilisateurs, les plateformes cherchent tout de même à se conformer aux lois et éviter des sanctions de la part des gouvernements.
Pour créer ce type d’interface, les IA sont nourries d’informations sur les œuvres à protéger. Elles peuvent ensuite identifier si les œuvres sont reprises dans les publications téléversées sur les plateformes.
- Lire aussi : Qu’est-ce que l’intelligence artificielle (IA) ?
Reconnaissance automatique
On pourrait demander à une IA, par exemple, de détecter si des passages d’un roman sont repris dans un billet publié sur Facebook. Si une seule phrase était reprise, l’IA pourrait être codée pour laisser passer ce comportement. En revanche, si un chapitre entier était repris, l’IA pourrait bloquer automatiquement la publication illicite.
Une telle mesure ne serait pas nécessairement conforme à la Loi sur le droit d’auteur, puisqu’une citation de quelques mots seulement peut être protégée.
S'ils sont jugés importants, des passages tels que l’accroche d’une nouvelle, ou le dénouement d’une intrigue, peuvent contrevenir à la Loi. Aussi, seuls les juges peuvent trancher définitivement sur ce qui correspond à une utilisation équitable* ou pas.
*Attention ! L'utilisation équitable est une notion complexe, non quantifiable, qui demande un processus d'analyse au cas par cas en fonction des circonstances. Elle ne peut donc se traduire en une politique uniforme.
Inégalitaire
Les intelligences artificielles de reconnaissance ne permettent pas de protéger toutes les œuvres.
Une œuvre originale est automatiquement protégée par la Loi dès qu’elle est créée ; c’est à dire « fixée » sur un support durable. Il est impossible à l’heure actuelle pour une IA de prendre connaissance de toutes les œuvres originales qui existent — en plus des nouvelles qui sont créées constamment — et de les protéger équitablement.
Les IA de reconnaissance protègent surtout les œuvres issues de grandes entreprises qui ont les moyens de convaincre les plateformes de réseaux sociaux de protéger leur contenu.
Quand l’IA cause des problèmes aux utilisateurs
Il arrive que les IA de reconnaissance effacent des publications qui utilisent légalement des œuvres protégées.
Cette situation incommode les créatrices et créateurs, sur YouTube notamment. Une violation du droit d’auteur, même présumée, peut automatiquement mener à la démonétisation des vidéos, et ce, sans avertissement.
Des YouTubeurs publiant des critiques littéraires ou de cinéma peuvent perdre le revenu associé à leurs vidéos sans même avoir reçu d’avis. Il suffit que l’IA de reconnaissance évalue que les publications vidéo violent le droit d’auteur. Ils n’auront même pas l’occasion de faire valoir leur point de vue.
Une balance d’intérêts
Est-ce là un mal nécessaire pour limiter les impacts des violations du droit d’auteur ?
Balancer les intérêts de créatrices et créateurs de contenu numérique et ceux des autrices et auteurs d’œuvres littéraires, théâtrales, musicales ou cinématographiques s’avère une tâche délicate. Les IA de reconnaissance sont certainement une partie de la réponse, mais elles causent d’autres problèmes.
L’IA permet de protéger automatiquement les droits d’auteurs sur des plateformes où des millions de publications sont créées chaque jour. En revanche, l’IA peut aussi indûment affecter des activités légitimes d’utilisatrices et d’utilisateurs.
Cette situation met en exergue l’esprit fondamental de la Loi : ce fin équilibre recherché entre les droits des créatrices, des créateurs et l’intérêt du public.